Presse

MY CHET MY SONG

 

Télérama n° 3376 – Michel Contat

On aime passionnément4t

Riccardo Del Fra, Romain de 58 ans, a passé, à partir de 1979, neuf années sur les routes comme contrebassiste de Chet Baker, avec qui il a enregistré douze disques. Compositeur, arrangeur, enseignant, il dirige depuis dix ans les classes de jazz et de musiques improvisées au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) — ce qui veut dire qu’une bonne part des musiciens qui font la nouvelle scène du jazz en France a pu se former au contact de ce parfait gentleman musical. Son disque n’est pas un hommage de plus à Chet Baker, mais l’évocation du monde poétique dans lequel le trompettiste, voyou magnifique et pathétique, l’a entraîné. Riccardo Del Fra en a fait son aventure personnelle — ce qui apparaît bien dans les trois compositions de sa plume qui se mêlent aux standards qu’ils jouaient ensemble. C’est ce chant de Chet en lui qu’il fait résonner, grâce à une conjonction rare de distinction, de sensibilité romantique et d’ambition musicale. Pas une déception au cours de ces soixante-six minutes gorgées de cordes et de vents caressant les standards : My Chet My Song pourrait servir de bande sonore à un film où la personnalité angéliquement perverse de Chet Baker redeviendrait ce qu’elle fut, une grandeur d’artiste. La chance de Riccardo Del Fra n’est pas seulement d’avoir pu enregistrer sa partition avec l’excellent Studio Filmorchester de Babelsberg, mais d’avoir trouvé en Airelle Besson la trompettiste de ses rêves pour exposer les thèmes et improviser sans mimétisme dans le style de Chet Baker, avec un quintet où tour à tour Pierrick Pédron au sax alto, Bruno Ruder au piano, lui-même à la contrebasse et Billy Hart à la batterie s’émeuvent de la beauté qu’ils offrent. — Michel Contat
1 CD Cristal Records/Harmonia Mundi.

Les dernières nouvelles du Jazz – Jean-Marc Gelin

|Je sais bien que c’est notre boulot de journalistes de trouver les mots qui conviennent. De vous dire de quoi il s’agit. De vous raconter nos émotions. On voudrait vous parler du dernier album de Riccardo Del Fra en termes choisis, synthétiques et concis. Mais alors comment vous dire toute la beauté de cet album sans en perdre une miette. Car cet hommage que rend le contrebassiste à Chet Baker est pour nous un monument. Pourtant : Riccardo Del Fra rendant hommage à Chet Baker : sur le papier pas un sujet très nouveau et l’on pensait qu’on allait être en terrain connu. Seulement voilà, ce que Riccardo insuffle ici, avec ses arrangements pour cordes et ses deux merveilleux solistes, est absolument renversant, bouleversant. Il y a des albums de jazz qui possèdent ce supplément d’âme indéfinissable dont on décèle vite l’amour de leur auteur pour leur sujet. Celui que signe Riccardo del Fra est rempli d’émotion pour Chet Baker qui reste pour le contrebassiste et directeur du CNSM comme une ombre tutélaire qu’il chéri avec beaucoup de tendresse.
Jean-Marc Gelin  read more
La suite en suivant ce lien : http://www.lesdnj.com/article-riccardo-del-fra-my-chet-my-song

Le Monde – Francis Marmande

Rémi Fox (sax alto), Ariel Tessier (drums), Virxilio Da Silva (guitare), plus ceux qui figurent déjà sur le superbe album hommage de Riccardo Del Fra, My Chet My Song (Cristal, Harmonia Mundi), Airelle Besson (trompette, dans le rôle, en scène) et Bruno Ruder (piano). Sept musiciens sur la scène du Sunside, réunis pendant trois soirs, les 3, 4 et 5 octobre (rue des Lombards, à Paris 1er) par leur Maître, Riccardo Del Fra. Deux sets d’émotion et d’exactitude : l’éthique de Riccardo, un traitement faussement réglo des harmonies, des jeux subtils d’écriture, beaucoup d’espace aux improvisateurs, une certaine élégance, mais surtout, sans rien d’engoncé, une certaine conception de la dignité et de la loyauté.

Improvisatrice impeccable, Airelle Besson – nous reviendrons sur son album Prelude avec le guitariste Nelson Veras –, a dans le registre médium de la trompette, le moelleux, le velouté du bugle. On peut se tromper : « Non, j’ai beaucoup joué le bugle, on me l’a volé, parfois, je tourne autour du son, c’est vrai. »

LÉGITIMITÉ DE L’HISTOIRE

Riccardo Del Fra n’est pas le premier à rendre hommage à Chet Baker, mais tout le monde n’a pas la pertinence de l’art et de l’esprit (analogue à celle d’Eric Le Lann, trompettiste qui fréquenta Chet) ou la légitimité de l’histoire : pendant une dizaine d’années, Riccardo a tourné avec Chet Baker. Ce qui signifie, partage, patiences, répétitions, répertoire, aléas, hôtels, route (Chet pilotait comme un dieu), vie, nuit, pratique de la musique.
On fait à bon compte de Chet le parangon du héros « romantique », à la mode des photographes de mode. Sa belle gueule s’y prêtait, les musiciens entre eux parlent de la musique : de son perfectionnisme, de son niveau d’exigence et ce son, « mais où est ce son de trompette qu’aucun enregistrement, même le plus merveilleux ne peut reproduire ? ».

Accompagner Chet Baker, c’est évidemment le servir, l’approcher, coller à sa musique, mais c’est surtout avoir ce son, son juste son, ce son entier que n’entendent jamais les autres, si, dans les tout petits clubs, au creux de l’oreille.
Jouer avec Chet, c’est aussi être capable de supporter la seule indication que l’archange de la trompette donnait à ses partenaires avant d’attaquer un morceau, le plus complexe, parfois, le plus acrobatique – on ne parle pas de performances, mais d’harmonies, d’accords, de phrasé –, le seul sésame : « Nice and easy ! ». Intraduisible ! « Joli et facile » ? Trop bêtasson. « Classe et cool » ? Très ambigu. « Nice and easy ! », c’est tout. Ou alors : et maintenant, tel thème, il disait le titre, dans la tonalité d’origine. Un grand frisson glacial parcourait alors le quartet, personne ne savait quelle était la tonalité d’origine. Après quoi, il fallait foncer et assurer, comme si l’on avait toujours su. Le jazz, c’est ça et Chet, c’était ça.

L’HOMME D’À CÔTÉ

Parce que le beau gosse (dieu qu’il l’était !) jouait terrible, toute la question est là. Il jouait chaque note, chaque inflexion, chaque attaque, chaque phrase, chaque silence, comme on taille un diamant. Le sage montre la lune ? Les photographes de mode font le point sur la mèche rebelle. Riccardo ne s’en tient pas à son rôle de side man (Kenny Wheeler, Dizzy Gillespie, Lee Konitz…). Très joli, ce terme d’homme d’à côté, pour désigner le partenaire, l’accompagnateur. On le dit pour l’excellent Olivier Monod, lecteur attentif qui ne manque pas de regretter, souvent à juste titre, l’excès de mots anglais (« tentet ») dans ces chroniques. Side man n’a pas son équivalent. Question d’espace, de position, de justesse et d’oreille.

Riccardo Del Fra compose, dirige le Département « Jazz et Musiques improvisées du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse » (Paris), il écrit pour le cinéma (Lucas Belvaux) et participe à l’un des plus beaux films sur le jazz, toutes catégories confondues, un des plus beaux films tout court, Chet’s Romance, de Bertrand Fèvre (avec Alain Jean-Marie au piano).

Sous pochette empruntée à Nicolas De Staël, il aligne les chansons les plus connues de Chet, de I’m a Fool to Want You à My Funny Valentine en passant par But not for Me. Et une de ses compositions, Wind on and Open Book.

Dans l’album, Pierrick Pedron est à l’alto et Billy Hart aux drums. Un poème de Riccardo Del Fra, Ombre e luci/Chet en noir et blanc, indique, avec autant de sensibilité que de justesse, le sens de la musique. My Chet, My Song :

Du plein soleil au contre-jour.
Angelo affascinante ou povero diavolo ?
Le prix à payer pour ta liberté insolente qui les empêchera de te capturer ou de t’apprivoiser.
(…)
Image, aide ma mémoire !
Bien-aimé de la Muse.
Aimé et mal-aimé, anti-modèle d’un monde qui va là où il va.
La lumière continue son tracé, malgré les ombres.

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